Face au Covid-19 : la solidarité cubaine envers la Chine
Contrairement à l’aide humanitaire « Nord-Sud », négociée à la dernière minute entre les acteurs de la « société civile » aux intérêts bien souvent divergents, la solidarité sino-cubaine s’est inscrite dans le temps long. Le traitement du Covid-19 en Chine a été rendu possible par une coopération longue de 20 ans, unissant Cuba et la Chine dans le domaine des biotechnologies, de la recherche scientifique et de l’assistance médicale. Et si l’on regarde du coté de la médecine traditionnelle, cette coopération est beaucoup plus ancienne.
Pour traiter le Covid-19, la Chine a eu recours à un antiviral cubain
Seulement trois semaines après avoir rapporté les premiers cas du virus à l’OMS, les autorités chinoises ont émis un appel d’offre pour trouver un médicament. Le 25 janvier, parmi les 30 propositions, la Commission nationale de la santé a retenu un antiviral cubain : l’Interferon alpha 2B. Il s’agit de protéines déjà naturellement présentes dans le système immunitaires. Pris sous la forme d’aérosol, il renforce le système immunitaire et permet de retarder le stade des complications respiratoires. Il permet de soulager les malades et la charge de travail des médecins. Dès fin janvier, plus de 150 000 flacons ont été livrés dans les hôpitaux chinois de la province de l’Anhui, du Fujian et du Xinjiang. Produit par Cuba depuis 1981, l’Interferon alpha 2B avait d’abord servi contre la dengue. Il est aussi utilisé dans le traitement d’autres maladies virales comme le VIH, le papillomavirus, l’hépatite B et C et certains types de cancer. Au total, il a été inclus dans le traitement de 1500 patients Chinois. Tous ont guéris du Covid-19.
L’industrie des biotechnologies : fer de lance de la solidarité sino-cubaine
Le traitement des Chinois à l’Interferon est très révélateur de la spécificité de la coopération médicale sino-cubaine. Ce médicament n’est pas importé de Cuba, ni appliqué dans l’urgence par les brigades de médecins cubains. Certes, la Chine a déjà eu recours à leurs précieux services, dernièrement lors du tremblement de terre qui avait ravagé la province du Sichuan en 2008. Le pays était totalement dépassé par un bilan très lourd : 80 000 morts et 350 000 blessés. Cuba avait fourni 35 médecins et chirurgiens à la Chine, ainsi que trois tonnes de médicaments et de matériel médical. Ils avaient soigné 1092 blessés et effectué 31 opérations. L’aide de Cuba à la Chine contre le Covid-19 sort de cette logique, comme le souligne Luis Herrera Martinez, conseiller scientifique du groupe pharmaceutique BioCubaFarma : « Pour l’Interferon, il existe depuis des années un transfert de technologie avec la province chinoise où nous avons établis une usine et un centre de recherche. Le produit est réalisé avec exactement la même technologie que chez nous. Il répond aux normes de qualité des deux pays ».
L’Interferon est en effet fabriqué dans la co-entreprise sino-cubaine Chang-Heber, en activité depuis 2003 à Changchun, dans la province du Jilin. Cette co-entreprise fournit également d’autres pays asiatiques et produit d’autres médicaments. À elle seule, Chang-Heber fabrique plus de 10 millions de flacons d’Interferon par an, qui sont même labellisés aux Bonnes Pratiques de Fabrications (BPF) de la Commission européenne. La co-entreprise emploie 1300 employés en Chine et rapporterait l’équivalent de 30 millions de dollars par an à Cuba, qui utilise ces revenus pour financer son système de santé. Il existe d’autres co-entreprises sino-cubaines dans les biotechnologies comme Shandong Lukang-Heber, ou encore Biotech Pharmaceutical. Cette dernière, établie à Pékin en 2000, commercialise le Nimotuzumab-R3, un anticorps monoclonal utilisé pour traiter les tumeurs cérébrales. On peut aussi citer le H-R3, utilisé contre l’excès de cholestérol et commercialisé en Chine à partir de 2006, ou encore les traitements fournis par le Centre de recherche ophtalmologique Cuba-Chine de l’Ouest de la Chine.
La coopération sino-cubaine : une histoire ancienne
La médecine traditionnelle chinoise (MTC) a été introduite à Cuba en 1847, lorsque les travailleurs agricoles chinois, les coolies, arrivaient sur l’île de Cuba pour y travailler dans les exploitations de canne à sucre. La MTC aurait été beaucoup utilisée chez les rebelles cubains pendant la Guerre des Dix Ans, menée contre le colon espagnol entre 1868 et 1878. Pratiquée essentiellement dans la sphère privée, la MTC recouvrait alors l’acuponcture, la moxibustion et le recours aux herbes médicinales. Son utilisation a été largement encouragée au lendemain de la Révolution de 1959, car malgré l’embargo américain, Cuba pouvait importer des herbes médicinales de Chine. Si bien qu’entre 1960 et 1963, des représentants du système de santé cubain se rendaient régulièrement en Chine et en revenaient avec du matériel offert par la Croix-Rouge chinoise. Cette coopération a cependant été interrompue lorsque Mao Zedong a lancé la Révolution culturelle en 1964, dans la lignée de la rupture sino-soviétique. La coopération médicale sino-cubaine a été suspendue pendant près de 30 ans.
1992 a marqué un tournant. Cuba devait composer avec la fin de l’Union Soviétique et le renforcement de l’embargo américain. Entre 1992 et 2000, l’île a connu une grave crise économique, la fameuse « Période spéciale en temps de paix », qui allait durer 10 ans. Cuba perdait des capacités de financement pour son système de santé. Entre 1989 et 1993, le budget annuel que l’État cubain allouait à ce secteur est passé de 227 à 56 millions de dollars. La Chine, alors isolée sur le plan international à la suite des événements de Tiananmen (1989), a pu renouer des liens avec Cuba. En 1993, le président chinois Jiang Zemin s’est rendu à la Havane. Fidel Castro à Pékin en 1995. La coopération industrielle dans les biotechnologies est devenue le fer de lance des relations entre Cuba et la Chine, formalisée par la signature d’un protocole d’accord sur la coopération dans la biotechnologie en 2004. Selon le ministère cubain du commerce, entre 2005 et 2011, Cuba a importé de Chine plus de 400 millions de dollars de médicaments issus de la MTC, tout en accédant au marché chinois des médicaments issus de la médecine conventionnelle. Depuis plus de 15 ans, les co-entreprises sino-cubaines font la fierté des médecins cubains et chinois. Elles permettent de soigner des milliers de citoyens chinois tout en contribuant à financer un système gratuit pour l’ensemble de la population cubaine…
Cuba est encore plus exemplaire à l’heure où les États-Unis annoncent la fin de leur contribution au budget de l’Organisation mondiale de la santé. Malgré l’évidence des faits, le gouvernement français tergiverse à l’idée de demander l’aide des brigades de médecins cubains, dont le rôle est pourtant salué par tous les pays membres de l’OMS. Les médias dominants préfèrent parler de manœuvres politiques et de propagande cubaine. Si l’on se place pourtant du point de vue des peuples européens, la nationalité de l’aide n’a pas d’importance. Après tout, si le virus du Covid-19 ne connait pas les frontières, la solidarité médicale internationale ne devrait pas en avoir non plus.
Références :
http://social.journal.swust.edu.cn/CN/abstract/abstract729.shtml#
http://news.cri.cn/gb/19224/2008/06/06/882@2088734.htm
http://www.gov.cn/jrzg/2013-08/26/content_2473989.htm
https://mp.weixin.qq.com/s/ntq2laASEildOqs5sIpd1A
http://www.changheber.com/zn/index.php
https://www.solidaire.org/articles/un-medicament-cubain-efficace-contre-le-coronavirus